Contrat de réalisation d’un site internet : Gardez l’équilibre contractuel même entre professionnels!

 

Certaines clauses d’un contrat de réalisation d’un site internet ont été portées à l’attention de la Commission d’examen des pratiques commerciales (CEPC) le 23 février 2015 (Avis numéro 15-1 relatif à une demande d’avis sur un contrat portant sur la création du site internet au regard de sa conformité avec l’article L442-6-I, 1° et 2° du code de commerce).

Cet avis est riche d’enseignement en ce qu’il confronte certaines pratiques commerciales avec l’article L442-6 I 2°du Code de commerce selon lequel :

« Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :

[…]

De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ; »

 

1. Les faits : un contrat de prestation signé mais dont l’exécution n’a jamais commencé

 

  • A la suite d’un démarchage « one shot », un commerçant (entrepreneur individuel) et un prestataire informatique signent un contrat de licence (location) de site internet « vitrine de publicité » avec un engagement de 48 mois et une redevance mensuelle de 179,40 euros TTC.

 

  • Le contrat a pour objet la création du site internet, l’hébergement, le référencement et la maintenance et indique qu’il peut être cédé sans formalité préalable à une société C ou D, établissement de location financière.

 

  • Peu après la signature du contrat et avant le moindre début d’exécution du contrat (aucun cahier des charges ni aucune fiche technique n’ont été réalisés par le prestataire informatique), le commerçant souhaite mettre fin au contrat et invoque la nullité du contrat.

 

  • Le prestataire informatique se retourne alors contre le commerçant et lui demande le paiement de plusieurs indemnités conformément aux dispositions du contrat signé par les parties. 

 

2. Les nombreuses clauses contractuelles qui font débat

 

Alors que le contrat n’a pas commencé à être exécuté et que les parties ne se sont même jamais revues pour discuter d’un cahier des charges, le prestataire informatique invoque les clauses contractuelles d’indemnisation suivantes :

  • La clause de résiliation anticipée prévoyant le paiement d’une indemnité correspondant à 30% des loyers qui auraient été dus en cas d’exécution du contrat (soit un peu plus de 2 500 euros en l’espèce) ; la clause précise que « les parties conviennent expressément que cette indemnité ne peut être assimilée à une clause pénale et ne peut donc en aucun cas être révisée sur le fondement de l’article 1152 du code civil »;

 

La Commission estime, au regard de la situation des parties (probable rapport de force en défaveur du commerçant, montant élevé de l’indemnité alors que le contrat n’a pas commencé à être exécuté et qu’aucune fiche technique n’a été réalisée) que cette clause est discutable au regard du 2° de l’article L442-6 I. Cependant, la Commission va lier l’examen de cette clause à l’ensemble des clauses de résiliation ci-dessous ;

 

  • La clause de résiliation de plein droit par le prestataire informatique en cas de cessation partielle ou totale d’activité du client et les différentes clauses de résiliation au profit du prestataire informatique prévoyant entre autre le paiement d’une indemnité par le client d’une somme égale à la totalité des échéances restant à courir jusqu’à la fin du contrat majorée d’une clause pénale de 10% lorsque le contrat est résilié par le prestataire ; alors même que le contrat ne prévoit aucun cas de résiliation anticipée au profit du client pour des motifs légitimes (par un exemple un sinistre empêchant le commerçant de poursuivre son activité) ;

 

 

La Commission relève que « cette asymétrie de traitement des parties, tant dans les conditions que dans les conséquences pécuniaires de la résolution est contraire à l’article L442-6 I 2° (notion de déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties) ». La Commission relève par ailleurs que le montant de 10% de la clause pénale est susceptible d’être revu à la baisse par les juges au regard de la jurisprudence récente en la matière.

 

 

  • Les clauses exonératoires de responsabilité pour le prestataire informatique en cas de mauvaise exécution des prestations :

 

Clause selon laquelle le client ne saurait invoquer des difficultés d’exécution des prestations de maintenance, hébergement, référencement, effectuées par le prestataire informatique ou ses sous-traitants, pour justifier le non-paiement des échéances, en raison de l’indépendance juridique existant entre le contrat de licence d’exploitation du site internet (location du site) et les contrats des prestations associées (maintenance, hébergement, référencement) .

Clause selon laquelle « Le client ne saurait invoquer une impossibilité totale ou partielle d’utilisation, ou une détérioration des fonctionnalités du site internet pour s’opposer au paiement des échéances ».

Clause selon laquelle « Le choix des éléments constitutifs du site internet a été fait sous l’unique et entière responsabilité du client. La responsabilité du cessionnaire ou à défaut du prestataire informatique ne pourra en aucun cas être recherchée par le client à quelque titre que ce soit au regard des fonctionnalités, de la qualité, de l’adéquation avec les besoins du client, de l’utilisation et la maintenabilité du site internet ».

Clause selon laquelle: « le cessionnaire ou à défaut le prestataire informatique ne pourra donc être tenu pour responsable des anomalies de fonctionnement du site internet, qu’elles qu’en puissent être la cause et la durée ».

Clause selon laquelle: « Par dérogation aux dispositions de l’article 1724 du code civil, le client renonce à demander au cessionnaire toute indemnité ou diminution du montant des échéances si pour une raison quelconque le site devenait temporairement ou définitivement inutilisable ».

 

L’expression retenue par la Commission est sans appel, elle parle pour ces clauses exonératoires de responsabilité d’une « véritable immunité contractuelle » au bénéfice du prestataire et de ses sous-traitants, le commerçant démarché n’ayant aucune voie de recours dans le contrat en cas de mauvaise exécution du contrat par le prestataire informatique. Et pour la Commission de conclure que « les clauses incriminée sont, au regard des éléments de la saisine, contraires à l’article L442-6 I 2° du code de commerce. Il appartient au défendeur (le prestataire informatique) de prouver l’éventuel « rééquilibrage » par d’autres clauses du contrat aux termes de la jurisprudence de la Cour d’Appel de Paris. »

 

3. Les autres enseignements de la Commission

 

  • Elle rappelle que le commerçant en cause n’est pas un consommateur au sens de la loi. L’article préliminaire du Code de la consommation dispose aujourd’hui qu’ « est considérée comme un consommateur toute personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ». Le commerçant en question ne peut donc pas se prévaloir de cette qualité car en demandant la réalisation d’un site internet vitrine, il a agi dans le cadre de son activité professionnelle.

 

  • La Commission remarque que le contrat et les conditions générales prévoient la réalisation d’une fiche technique, qu’il s’agit d’une obligation du prestataire informatique et qu’à ce titre, même en l’absence de clause contractuelle sanctionnant le défaut de réalisation de la fiche technique dans le contrat, le client est en droit de demander la résolution judiciaire du contrat et le versement de dommages et intérêts lorsqu’aucune fiche technique n’est réalisée (et comme c’était le cas en l’espèce avec l’entrepreneur individuel).

 

  • La Commission rappelle également les critères d’appréciation de la notion de partenaire commercial au sens de l’article L442-6 I 1° et 2° du Code de commerce. Dans son avis, elle relève ainsi que la notion de partenaire commercial « implique un examen concret de la relation et de l’objet du contrat ». Pour qualifier le commerçant de partenaire commercial, la Commission prend en considération la durée d’engagement de 48 mois entre les parties, et l’objet du contrat qui est de développer l’activité professionnelle du commerçant de sorte qu’ici « la notion de partenariat est présente ». La Commission rappelle très utilement que la notion de partenariat a par le passé été identifiée dans les relations contractuelles entre hôteliers et centrales de réservation ou en cas de sous-traitance (avis antérieurs de la Commission). 

 

4. En pratique :

  • Artisans, commerçants, ne signez jamais de bons de commande ou de contrats lorsque vous êtes démarchés à votre siège social et que vous ne pouvez pas en négocier les termes.

 

  • Cherchez quand cela est possible l’aide d’un professionnel du droit pour une simple relecture des documents qui vous sont soumis, vous serez gagnant et vous éviterez bien des discussions.

 

Aurélie Musset